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Le projet Bowary : une version Twitter de Madame Bovary !

Cet article a plus d'un an et est à considérer comme une archive

A partir du 29 janvier et jusqu’au 6 novembre, le classique de Flaubert transforme ses pages papier en pages Twitter ! L’aventure littéraire, qui se fera en 280 tweets pendant 280 jours, sera menée par 10 auteurs et autrices.

Flaubert ne manque pas d’adaptations et ce, dans bien des genres différents. Des plus classiques, telle la version chabrolienne de Madame Bovary avec Isabelle Huppert, aux plus colorées comme l’adaptation folle et psychédélique de Salammbô par Philippe Druillet en BD. Cependant, il n’avait jamais été revisité via un réseau social. Et c’est aujourd’hui chose faite avec Bowary, un projet de « twittérature » dans lequel se lance un collectif d’auteurs regroupés sous la bannière de l’association Baraques Walden.

Ainsi, « Bovary c’est moi », la célèbre phrase de l’auteur rouennais, a désormais une version 2.0, constellée de gazouillis (la traduction française du terme « tweet ») virtuels. Elle devient, en cette année du bicentenaire de la naissance de Flaubert : « Madame Bovary, c’est nous ». Et elle est prononcée par 10 auteurs se réappropriant l’œuvre qui fit scandale en son temps.

C’est sur Twitter, un des sites internet les plus populaires au monde où bien des esclandres se font et se défont, que la réinterprétation va prendre forme, de manière morcelée, à partir du 29 janvier et jusqu’au 6 novembre. Chaque mois, un auteur différent élaborera un tweet au quotidien. Ces interventions devront respecter la limite autorisée par la plateforme de 280 caractères. Elles seront autant d’incursions piquantes brodant de nouveaux motifs à l’un des plus grands classiques de la littérature mondiale. Et les lecteurs pourront y trouver aussi bien de l’humour que de la poésie, comme dans ce tweet à venir de Julia Kerninon : « Peut-être aurait-elle préféré vivre à même son gâteau de mariage, avec la balançoire en chocolat, la prairie verdoyante, les roses véritables – tout mais pas cet after qui dérape, avec les hommes qui flirtent, les chevaux qui rotent, les enfants bavant sous les bancs ».

Concepteur et coordonnateur du projet Bowary, Stéphane Nappez est le président de l'association Baraques Walden. Il a répondu à quelques questions autour de cette métamorphose audacieuse du texte de Gustave Flaubert.

Comment présenter le projet Bowary ?

Bowary n'est surtout pas un « résumé » de Madame Bovary. On pourrait plutôt parler de « réduction », un peu comme en cuisine, quand on fait réduire une sauce. On perd en eau mais on augmente le goût. Et les diététiciens crient au scandale. Réduire le roman de Flaubert en 280 tweets, c'est aussi scandaleux que de saucer son assiette après un bon repas.

Comment l’idée est venue et s’est affinée ?

Twitter est un peu mieux fréquenté depuis que Trump et les QAnon en ont été virés mais ça reste un média où la haine s'exprime facilement. Notre idée était d'y remettre un peu d'humour et de poésie. Et puis, il y a quelques années de cela, j'avais réduit L'Iliade en 140 tweets. Ça s'appelait Twiliade. Du coup, on fait de la récidive en bande organisée.

Qu’est-ce que l’association Baraques Walden ?

Je vais vous répondre en trois points : 1) construire des cabanes à la campagne où les écrivain·e·s confirmé·e·s pourront venir écrire et lire ; 2) réserver une de ces cabanes aux pratiques de l'écriture en amateur pour que les auteurs et autrices en devenir puissent échanger avec les confirmé·e·s ; 3) faire de ce site un lieu de rencontre avec les lecteurs via des événements conviviaux plus ou moins formels (buvette, master classes, lectures, etc.). Chez Baraques, on aime que la littérature soit aussi une affaire collective.

Peut-on dire quelques mots sur le collectif ?

Le projet Bowary, qui est porté par Baraques Walden, coproduit par le festival Terres de Paroles et soutenu par le Département de la Seine-Maritime, ce sont dix autrices et auteurs publié·e·s dans de belles maisons d'éditions. Dans l'ordre de passage, du 29 janvier au 6 novembre : Julia Kerninon, Arno Bertina, Emmanuel RenartLaure LimongiFabrice Chillet, Agnès Maupré, Frédéric Ciriez, Fred Duval, Maylis de Kerangal et Vincent Message. Tous des bowaristes hors pair.


Pouvez-vous imaginer un tweet de Flaubert ? Qu’aurait-il écrit à propos du projet Bowary ?

@GusFlbrt76

J'ai cru leur flanquer mon pied au cul à ces bowaristes. Ils m'ont pressé & distillé ma Bovary comme une vieille pomme. Mais ça donne un bon calva qui vous fouette les sangs. Alors, je leur retire mon pied d'où je pense et je leur tire ma révérence : Bowary, c'est aussi moi !


Quelle est votre phrase préférée de Flaubert, et pourquoi ?

« Il n'y a pas en littérature de beau sujet d'art et Yvetot vaut donc Constantinople ; et en conséquence, l'on peut écrire n'importe quoi aussi bien que quoi que ce soit. L'artiste doit tout élever. » (Lettre à Louise Colet, 25-26 juin 1853).

C'était l'un de mes sujets de français au lycée, au Havre. Pour un habitant de la Seine-Maritime, cette citation de Flaubert résonne différemment que pour un Toulousain ou un Strasbourgeois. On connaît le Roi d'Yvetot et son goût immodéré pour la boisson et les bonnes filles. J'ai mis du temps à comprendre que ce combo Yvetot-Constantinople n'était pas qu'une provocation anti-bourgeoise. La capitale cauchoise et celle de l'Empire romain d'Orient n'ont certes pas grand-chose en commun mais Flaubert, futur grand voyageur et auteur de Salammbô, nous dit une chose : entre Emma Bovary et la fille d'Hamilcar (qu'il n'a pas encore rencontrée en 1853), la beauté n'est pas une affaire de conventions académiques mais quelque chose qui « jaillit au soleil en gerbes géantes ». L'artiste est un explorateur qui rend visible « ce qui était plat sous terre ». Emma Bovary, ce n'est peut-être rien d'autre que Delphine Delamare, un simple fait-divers passé inaperçu, qu'un grand artiste, Flaubert, a fait jaillir de sous cette terre d'ennui où la suicidée avait été ensevelie vivante. Flaubert a fait d'Emma l'une des premières grandes figures littéraires de la femme qui reprend possession de son propre corps… Et qui en paye chèrement le prix. Beaucoup sont agacé·e·s par les mièvreries d'Emma, sa façon de dissimuler son désir sexuel sous des apparences romanesques. Mais au milieu du XIXe siècle, une femme mariée pouvait-elle se comporter aussi librement qu'un homme ? Non. La femme bourgeoise mariée était encore à bien des égards l'héritière de la matrone romaine : une reproductrice aussi éloignée que possible de la sensualité. Le plaisir sexuel n'étant alors qu'un commerce tarifé exclusivement réservé aux hommes… Maladroitement, sans doute, mais avec un courage infini, Emma a fait de sa vie une Constantinople de plaisirs en plein bocage cauchois. En cela, elle préfigure peut-être la Salammbô que Flaubert publiera neuf ans plus tard. Ry vaut bien Carthage, en fin de compte.

Finalement, Twitter est sûrement l’un des endroits les plus idoines pour rendre un hommage aussi baroque à Flaubert. Car le « style Twitter » est plutôt à ranger dans la catégorie des exercices de style : avec la limite de caractères, il faut être incisif et cultiver l’art de la saillie verbale trempée dans du vitriol. Un signe évident que Flaubert aurait pu briller sur Twitter : son Dictionnaire des idées reçues, une œuvre inachevée où en quelques formules concises, il pourfendait des notions, thématiques, figures historiques, objets ou valeurs de son temps. Et la grande majorité d’entre elles dépassait de loin en férocité, en humour ou en spirituel ce que peuvent produire aujourd’hui les figures les plus connues de la plateforme. Quelques preuves irréfutables sont les définitions flaubertiennes suivantes : « Malade. Pour remonter le moral d’un malade, rire de son affection et nier ses souffrances. » ; « Illisible. Une ordonnance de médecin doit l’être ; toute signature, id. » ; « Gras. Les personnes grasses n’ont pas besoin d’apprendre à nager ». Et qu’aurait-il pensé du quart d’heure de gloire que recherchent tellement d’aficionados de Twitter ? Là aussi, il aurait sûrement dégainé son Dictionnaire et aurait lu, d’une voix tonitruante : « Gloire. N’est qu’un peu de fumée ».

Pour suivre les publications journalières du projet Bowary dès le 29 janvier, connectez-vous : au compte Twitter Bowary : @BaraquesW, à la page Facebook Bowary : Projet Bowary, et au compte Instagram Bowary : @baraquesw

Le projet Bowary est porté par l'association Baraques Walden et Stéphane Nappez. Il est soutenu par le Département de la Seine-Maritime et le Festival Terres de Paroles.